Déployer les méthodes d’ancrage

Afin de réussir les challenges à relever, l’efficacité des plans de formation est un enjeu essentiel et exige d’ancrer les nouvelles connaissances et postures.

Selon la courbe de l’oubli établie par le psychologue allemand Hermann Ebbinghaus, 80 % des connaissances apprises sont perdues au bout d’un mois en absence de révision. En revanche, la répétition de l’apprentissage permet d’améliorer le niveau de mémorisation, d’autant plus si un certain laps de temps est respecté entre les sessions. Former dans la durée est en fait un élément important de l’ancrage mémoriel. « Le secret de la réussite, c’est de répéter », affirme Vincent Fourney, technicien en productions animales chez Dijon céréales, qui a pu tester la technique du drill (basée sur la répétition lors de jeux de rôle) dispensée par le Réseau Motival. Cogérant de celui-ci, Alain Baraton décrit le drill « comme le fil, dans une aiguille, qui permet de porter les actions nouvelles dans le temps et génère de l’assurance ». L’aiguille, qui guide ce fil, étant la mise en œuvre d’une dynamique du management du changement, essentielle à ses yeux. « Et le nœud qui noue le fil, c’est le coaching bienveillant qui alterne les moments où on fait et ceux où on fait faire. » Son collègue Benjamin Viguier insiste sur cet accompagnement terrain qui « permet de lever les freins psychologiques ». Tout comme il permet de « s’approprier une nouvelle approche », souligne de son côté David Lero, TC chez Val de Gascogne (lire ci-dessous). Le groupe Euralis mise également sur le coaching pour aider ses technico-commerciaux à adopter la nouvelle posture de conseiller d’exploitation (lire p. 38).

Pour pousser l’exercice d’ancrage un peu plus loin, des piqûres de rappel entre deux modules ou en post-formation peuvent être dispensées. C’est là que le microlearning peut entrer en scène. Cette technique d’apprentissage propose des séquences de 30 secondes à 5 minutes, le plus souvent sur téléphone mobile. « C’est un outil que nous envisageons, précise Benjamin Viguier. Pour l’instant, nous organisons des petits jeux à partir de Klaxoon pour réactiver des connaissances, revenir sur une approche abordée en salle. »

La poussée du microlearning
Un tel service est développé depuis six ans par la start-up parisienne Sparted avec sa plateforme d’e-learning sur mobile (ou tablette ou ordinateur). « Nous proposons aux employés de terrain, notre public cible, une expérience très facile à intégrer dans une journée type avec des séances courtes de 3 minutes, appuyées sur le jeu et accessibles depuis notre appli sur mobile, explique Matthieu Le Vavasseur, CEO de Sparted. Cette expérience vient en complément des formations présentielles, en apportant des connaissances sur les produits, les techniques de vente, ou des informations. » Le collaborateur peut recevoir ainsi trois à quatre petits jeux par jour basés sur la pédagogie inversée, lui faisant cumuler des points qui peuvent lui permettre de se défier avec des collègues dans des « battles ». Et il peut accéder à des contenus stockés dans une bibliothèque et recevoir une question du jour sur une connaissance mal acquise. D’autres interlocuteurs se mettent aussi sur ce créneau du microlearning, à l’instar de 360Learning qui a lancé ce format en avril dernier. « On amène du ludique et l’apprenant s’engage alors plus facilement et retient mieux le message », commente Pierre Chacun, conseiller en formation digitale.

L’attractivité et le plaisir du jeu
Le ludique n’est pas cependant étranger au monde de la formation. Ainsi, la ludopédagogie est connue dans le secteur avec notamment le jeu d’entreprise Agriéco, sur la gestion d’une exploitation agricole, développé depuis plusieurs années par AFEI. Il a été intégré dans le nouveau parcours élaboré par LCA Solutions + (p. 29). Il est composé d’un plateau de jeu représentant le cycle d’une exploitation agricole, des cartes d’évènements mis à jour régulièrement et d’un dé. « Le conseiller peut se mettre à la place de l’agriculteur, s’imprégner de ses questions et identifier les stratégies à mettre en place, explique Anne-Christine Petit, dirigeante d’AFEI. Il se rode avec le bilan, le compte de résultat et les leviers de performance économique. Il apprend des connaissances sérieuses avec plus de légèreté et de plaisir et mobilise ses cinq sens : c’est la magie du jeu. »

Chez Terrena, on joue aussi sur l’attractivité du jeu pour surprendre et motiver les stagiaires, la motivation pouvant être un élément favorable à l’ancrage mémoriel. « Les TC peuvent se challenger sur certaines formations avec une récompense à la clé. On peut aussi créer des vidéos au ton très décalé. L’idée est de créer différents univers pour que chaque collaborateur s’y retrouve », détaille Yohann Lusson, responsable formation du groupe.

Démystifier fait sauter des verrous
Le jeu permet en fait de démystifier des connaissances semblant complexes. Une démystification qui peut faire sauter bien des verrous. Chez Motival, tout un travail pédagogique a été ainsi réalisé autour des EGalim pour les expliquer de façon juste et pertinente. « Les TC peuvent alors mieux l’expliquer à l’agriculteur qui, bien souvent, en fera un retour positif, relate Alain Baraton. Et ils acceptent alors plus facilement la situation et peuvent évoluer vers une autre posture. Ceux qui l’ont bien compris font notamment un tabac en prospection. »

L’ancrage de nouvelles postures, commerciales ou techniques, peut prendre donc plusieurs chemins et les combiner. Si le digital ouvre un peu plus le champ des possibles, il ne fera pas tout. La pratique in situ restera essentielle. Le coaching peut le prouver. « Nous avons beaucoup promu le coaching depuis trois ans et il peut avoir des résultats extraordinaires », souligne Benjamin Latte, DRH d’Oxyane. D’autre part, les équipes terrain sont souvent demandeuses de visites d’essai avec des experts. Les bénéfices de la formation par la pratique poussent aussi l’alternance à se développer. Et les entreprises en prennent la mesure. Ainsi, Le Gouessant développe un parcours junior depuis deux ans pour mieux accompagner les alternants. Baptiste, 25 ans, et Antoine, 22 ans, techniciens nutrition porcine, estiment « avoir été bien encadrés » durant leur alternance dans la coopérative bretonne, même s’ils n’ont pas forcément participé au parcours dédié qui n’existait pas à l’époque de Baptiste. De son côté, Antoine explique s’être surtout formé « avec mon tuteur et j’ai tourné avec Baptiste, son adjoint, tous les deux mois pour savoir comment je fonctionnais ». Les apprentissages sont mieux retenus quand ils sont vécus dans des mises en situation. C’est pourquoi le mode projets prend de l’ampleur dans les approches pédagogiques.